dimanche 7 janvier 2007

INTERVIEW DE HERVE MILLET POUR 2X, NUMERO DU 18 JANVIER 2007

Rémi LANGE, ça vous dit quelque chose ? Pour ceux qui connaissent cet auteur indépendant, la sortie en DVD du film « Les Yeux brouillés » est l’occasion de le retrouver. Pour les autres, cette interview vous permettra de découvrir un cinéaste engagé et enragé, autodidacte et passionné, qui défend un cinéma différent, un cinéma de genre à travers ses propres films ou ceux qu’il édite sous sa collection « Homovies ».

-Avant « Les Yeux brouillés », vous aviez tourné un premier film : « Omelette ». Qu’est-ce qui vous a amené à filmer en Super 8 votre coming-out familial ?

J’avais envie de montrer ce que vivait de l’intérieur un jeune gay qui ne l’avait pas encore dit à ses parents. Je voulais que mon journal intime soit construit comme un film narratif classique dans le but qu’il soit vu par le plus grand nombre. J’ai utilisé le Super 8 car il implique une précision, une concision. Les cartouches ne font que 3’30’’. Il faut donc se dépêcher, aller à l’essentiel. Enfin, c’était pour aller contre l’image propre et léchée des films traditionnels en 35 mm. Je voulais une image un peu sale, crade, pas très net !

-Vous avez continué sur le même principe, le journal intime, en filmant vos histoires d’amour pour « Les Yeux brouillés » ? A la base, était-ce une démarche personnelle ou, déjà, une vraie envie de cinéma ?
C’était vraiment dans l’esprit de faire du vrai cinéma, construit comme un film de fiction traditionnel, projetable en salle. Je ne voulais pas faire du cinéma expérimental. Quand je filmais, je pensais au résultat final, au spectateur. La construction du film était préméditée. Dès le début, j’avais prévu de provoquer des éléments malheureux…

-La question inévitable : Y a-t-il vraiment une part de fiction dans vos histoires ou est-ce votre vie sans fausse pudeur et avec une bonne part d’exhibitionnisme ?
Il y a beaucoup de fiction dans le sens où quelqu’un qui se sait filmer, se met sous son meilleur éclairage et donne le meilleur de lui-même. En ce qui me concerne, j’influe et je transforme le cours de ma vie pour en faire un film. Quant on fait un journal filmé, on dépasse ses propres limites, on fait éclater toutes ses pulsions devant la caméra.

-Quelles relations avez-vous avec Antoine aujourd’hui ?
C’est une relation d’amour, même si elle a évolué. Je n’imagine pas ma vie avec une autre personne. C’est aussi une relation intellectuelle, artistique, de travail. Il est présent dans tous mes films en tant qu’acteur, monteur, conseiller artistique… Je ne peux pas faire un film sans lui, sans avoir son avis.

-Pourquoi ces deux films ont-ils mis plusieurs années avant de sortir sur les écrans ? Le premier est sorti le 14 janvier 1998 et le second, le 21 juin 2000 alors qu’ils ont été tournés au début des années 90 ?
Quand on fait ce genre de films en Super 8, c’est très difficile de trouver un producteur qui accepte de financer le transfert du Super 8 en 16 ou 35 mm et de le distribuer. Le problème, c’est que ce sont des films qui ne rapportent pas beaucoup d’argent. Il n’y a pas beaucoup de gens qui se sont intéressés à moi (La société Magouric à une certaine époque). CANAL + m’a fait faire une version courte de « Omelette » qui est passée en décembre 1994. J’ai utilisé l’argent de CANAL +, pour gonfler « Omelette » en 16 mm. Après sa sortie en salles, les choses sont allées plus vite. Grâce aussi à un article dans Studio Magazine, j’ai eu des propositions. Je fais un cinéma qui n’intéresse pas la production cinématographique actuelle…

-Racontez-nous un peu l’histoire de ces deux films. Quelles carrières ont-ils connues au cinéma ? A l’étranger, puisque « Omelette » a été montré à New York ?
En France, ils ont connu des carrières modestes. « Omelette » a fait 5 800 entrées sur une seule salle, ce qui est un relatif succès. La carrière de « Les Yeux brouillés » a été plus courte puisqu’il a été éjecté au bout de trois semaines avec 3 000 entrées au final ! Il ne rapportait pas assez d’argent dès le premier mercredi et vu, qu’aujourd’hui, on ne donne plus la chance à ce genre de films. A l’étranger, elle a été assez modeste aussi puisque aucune copie sous-titrée n’a circulé ! « Omelette » a été projeté à New York, dans une salle, l'Anthology Films Archives, pendant le festival MIX NEW YORK, lors d’une projection ponctuelle. En revanche, un autre de mes films, TARIK EL HOB, est sorti deux ou trois semaines dans une salle à New York, car c’est une ville où on laisse la place au cinéma indépendant.

-A la sortie du film « Les yeux brouillés », les critiques n’étaient pas unanimes. Comprenez-vous que les gens soient partagés par votre O.V.N.I. cinématographique ?
Je peux comprendre qu’on n’aime pas. Moi-même, il y a certains aspects du film que je n’aime plus aujourd’hui. Après, j’admets toute critique quand elle est constructive, bien écrite. D’ailleurs, le meilleur article, très négatif, a été écrit par les Inrockuptibles mais on sentait que le critique avait saisi l’esprit du film.

-Vous avez fait un troisième film : « Mes parents ». Que racontait-il, que montrait-il ? Est-il sorti au cinéma ?
Ce film est né d’une rencontre avec une amie lesbienne qui s’appelle Annie et qui, à l’époque, faisait 120 kilos. Malgré ce corps très, très gros, j’ai senti qu’elle avait un fort potentiel d’actrice. J’avais envie de dire que tout ‘monstre’ humain a le droit à l’amour, quelque soit son enveloppe. Je voulais que le spectateur, qui au départ, éprouve un sentiment de répulsion pour cette femme, arrive, à la fin du film, à l’aimer. C’est aussi un hommage aux films d’horreur que j’ai aimés quand j’étais ado et à certains auteurs comme Stephen King qui, à travers ses histoires comme « Shining », « Carrie », « Misery » ou encore « Dolores Claiborne », critique la cellule familiale. C’était aussi mon véritable premier film de fiction puisque je ne parle pas du tout de ma vie ! Il n’est pas sorti en salles car je n’ai pas trouvé de distributeur.

-A qui s’adresse votre cinéma ? A quel public ?
Mon cinéma s’adresse à tout le monde mais je suis conscient que c’est une utopie de ma part ! Donc, je pense qu’il est destiné aux gens qui sont intéressés par des films un peu différents, underground. Quand je commence une histoire, je me dis toujours : « Comment tu vas faire pour que ce ne soit pas raconté d’une façon normale ? Qu’est-ce qui me vas me différencier des autres dans la manière de filmer ? ».

-Comment en êtes-vous venu à créer, en Décembre 2004, votre propre société : Les Films de l’Ange ? Quelles sont les activités de cette structure ?
Certains producteurs m’ayant arnaqué dans le passé, j’ai décidé de créer une société d’édition DVD pour distribuer, moi-même, mes propres films. C’est le seul moyen que j’ai trouvé pour tout contrôler, en toute quiétude. Le but est aussi de distribuer d’autres films qui m’intéressent, d’autres réalisateurs qui sont comme moi, dans l’impossibilité de montrer leur travail. Le support DVD permet de montrer des films qui sont tournés de façon indépendante, à la maison, et qui remettent en question la sexualité en général.

-Présentez-nous votre collection DVD « Homovies » ? Que regroupe-t-elle ?Elle regroupe des longs-métrages, mais aussi des compilations de courts regroupés sous un thème donné : les gays et l’espace, les gays et le futur pour ‘Space gays’, les gays et l’horreur pour ‘Bloody gays’, les gays et l’étrange pour ‘Strange loves’… Ces films peuvent être Français ou étrangers, tout supports confondus (DV, VHS, Super 8, 35 mm).

-Y a-t-il vraiment un public pour ce cinéma de genre, pour ces films décalés ?
Il y a un petit public en France. Aux U.S.A., c’est bien plus important ! En moyenne, je vends 600 DVD par titre. Ce n’est pas énorme ! Même si certains comme « Mon beau locataire » explosent…

-Vous passez dans l’école des grands puisque vous devriez tourner un film en 35 mm : « Comment faire un enfant à Lio ? », avec Lio, elle-même ! Comment monte-t-on un projet comme celui-ci ?
Pour l’instant, le film est toujours en attente. Aujourd’hui, si on n’a pas de subventions du CNC ou de CANAL +, c’est très difficile de tourner. J’ai récupéré les droits après qu’ils aient été bloqués pendant cinq ans et j’essaie maintenant de trouver une solution pour le tourner d’une façon indépendante, sans l’idée du 35 mm, sans la présence d’une maison de production qui va alourdir les choses… dans des conditions ‘amateurs’, avec une mini-équipe pour que ce soit léger et dans la bonne humeur ! Lio est toujours partante, il faut juste qu’elle soit disponible…

-Cette fois, quelle sera la part de fiction et d’autobiographie ?
Elle sera à 100% fiction. Bien que certains éléments de la vie de Lio, avec son accord, soient intégrés dans le film pour qu’on ait une impression que le film soit une sorte de faux journal, faux documentaire. C’est la troisième partie du journal filmé après « Omelette » et « Les Yeux brouillés ». C’est un scénario que j’ai commencé à écrire en 1998, remanié depuis maintes fois…

-Comment vous définissez-vous dans un cinéma gay Français assez timide et comptant surtout peu de cinéastes engagés ?
Je dois être l’un des plus engagés ! Cela ne me dérange pas de mettre en valeur ma différence, y compris dans la façon de filmer. Certains ne veulent pas être emprisonnés sous l’étiquette : cinéaste gay ! Moi, au contraire, je suis plutôt fier d’avoir cette image : gay, queer, underground. Mais je pense que le cinéma engagé n’intéresse pas les gays. Ils préfèrent des histoires romantiques, sirupeuses, mielleuses avec deux beaux mecs sur la jaquette… Heureusement que le Festival Gay et Lesbien de Paris est là aussi pour diffuser des films underground !

-Que pensez-vous de la production mondiale gay ? Quels sont les derniers films que vous avez aimés ?
Je pense que la plupart des films restent assez lisses et caressent les gays dans le sens du poil. Il n’y en a pas beaucoup qui bousculent les gays dans leurs certitudes et leurs stéréotypes de vie. Récemment, j’ai aimé « Shortbus » de John Cameron Mitchell, « Hellbent » et les films de Louis Dupont, un auteur français qui tourne en Super 8, que je sortirai bientôt en DVD.

-Quels sont vos projets futurs ?
J’ai une comédie musicale que j’ai écrite avec un jeune chanteur, Markhange. On a écrit le scénario autour des chansons qu’il a composées. Mais il faut d’abord enregistrer ses chansons de manière professionnelle, en studio, avant de commencer le tournage. Si je ne trouve pas de producteur qui s’intéresse à ce projet, on le tournera aussi de façon amateur… En Avril, je tourne la suite de « Statross le Magnifique » car le premier a eu du succès.

« Les Yeux brouillés » en édition simple ou en édition 2 DVD : « Les Yeux brouillés » + « Omelette »

Hervé MILLET